Depuis plus d’un siècle, la prime de risque sur les actions (ERP) — ce rendement excédentaire que les actions offrent par rapport aux obligations ou à des actifs plus sûrs — a été le socle sur lequel repose l’investissement, garantissant un rendement de 5 à 6 % par an.
Mais aujourd’hui, cette époque semble toucher à sa fin. Alors que les valorisations américaines atteignent des sommets historiques, que la croissance des bénéfices ralentit, et que les défis structurels se multiplient, l’ERP pourrait bien se réduire à néant. Dans ce nouveau paysage, l’alpha — ces rendements générés par la compétence et la stratégie des investisseurs — s’affirme comme la principale source de performance. Cet article s’attarde sur les raisons de ce déclin de l’ERP, l’émergence de l’alpha dans un environnement de faibles rendements, et surtout, sur la manière dont les investisseurs peuvent naviguer dans un avenir dominé par le bêta.
Une analyse historique de la prime de risque sur les actions
Historiquement, les actions américaines ont généré un rendement annuel d’environ 10 %, soutenu par une expansion des multiples de valorisation, des bénéfices solides, des démographies favorables, et la domination du marché américain. Entre 1926 et 2024, l’ERP a atteint une moyenne de 6,2 %, culminant à 10,6 % entre 2015 et 2024. Toutefois, l’histoire révèle un schéma récurrent : des décennies de forte performance sont souvent suivies de phases plus faibles. Par exemple, après des périodes de rendements élevés, l’ERP de la décennie suivante tend à sous-performer la moyenne à long terme d’environ 1 %, tandis que les décennies moins performantes affichent généralement un rendement supérieur d’environ 1 %.
Les conditions de marché actuelles sont préoccupantes. Le ratio des bénéfices ajustés au cycle (CAPE) stagne près de sommets historiques, les rendements des dividendes sont peu engageants, et la croissance réelle des bénéfices est entravée par le vieillissement de la population et la hausse des coûts. Des gestionnaires d’actifs de renom comme AQR, Research Affiliates, Robeco et Vanguard projettent une ERP américaine proche de zéro pour la période 2025 à 2029, tandis que les modèles basés sur la valorisation avertissent même de rendements négatifs. Que se passe-t-il donc sur les marchés ?
L’importance croissante de l’alpha et des primes de facteurs
À l’heure où le bêta s’affaiblit, l’alpha se retrouve sous les projecteurs. Les primes de facteurs — ces rendements issus de stratégies telles que la valeur, le momentum, la qualité et la faible volatilité — se révèlent particulièrement robustes dans des environnements à faibles rendements. Les données historiques, entre 1926 et 2024, montrent qu’en période de rendements élevés, l’alpha des facteurs contribue à 25 % des rendements totaux. À l’inverse, dans les marchés difficiles, sa part grimpe à 89 %, tandis que les primes de facteurs restent stables ou même augmentent.
Cette dynamique est corroborée par des recherches académiques. Par exemple, Kosowski (2011) a découvert que les fonds communs de placement génèrent un alpha de +4,1 % pendant les récessions, lorsque les marchés sont les plus tendus, alors qu’ils affichent -1,3 % en période d’expansion. Blitz (2023) souligne que les alphas des facteurs augmentent lorsque les rendements des actions chutent, rendant ainsi des stratégies comme la valeur et le momentum essentielles dans des environnements à faible ERP. Qui aurait cru que l’alpha pourrait briller dans l’adversité ?
Réflexions sur l’avenir de l’investissement
Face à un ERP en déclin, les investisseurs doivent repenser leurs stratégies. L’exposition traditionnelle au marché, autrefois moteur principal des rendements, pourrait ne plus suffire. Il est temps de privilégier l’alpha à travers des stratégies systématiques et fondées sur des preuves. Un monde à faible ERP pourrait redéfinir les dynamiques du marché. Alors que les investisseurs recherchent l’alpha, le capital pourrait être attiré vers des stratégies basées sur des facteurs, ce qui pourrait faire monter en flèche les valorisations de ces actifs. Par ailleurs, la domination du marché américain, soutenue par une ERP élevée lors de la dernière décennie, pourrait céder le pas à des opportunités en Europe, en Asie, ou dans les petites capitalisations.
De plus, un environnement prolongé à faible ERP pourrait renforcer l’attrait des stratégies défensives. Les facteurs de faible volatilité et de faible bêta, qui prospèrent dans l’incertitude, pourraient attirer d’importants flux de capitaux, offrant une stabilité dans un marché où les rendements positifs sont rares. Les investisseurs qui s’adaptent rapidement, en adoptant des stratégies quantitatives actives ou en diversifiant leurs portefeuilles à l’échelle mondiale, pourraient bien se retrouver avec un avantage concurrentiel.
En conclusion, un déclin de l’ERP ne sonne pas le glas de l’investissement ; il appelle plutôt à une évolution vers des stratégies axées sur l’alpha. Avec la pression sur les rendements des actions américaines, des approches systématiques telles que l’investissement basé sur des facteurs, les actions défensives et la diversification mondiale offrent des perspectives de performance durable. Dans un monde où l’ERP pourrait tendre vers zéro, l’alpha ne constitue pas simplement un bonus ; c’est la clé de la croissance du capital. Ainsi, alors que le bêta s’éclipse, l’alpha se fait éclatant.