L’investissement par facteurs a longtemps été perçu comme une méthode scientifique pour identifier les actifs qui surpassent le marché. Cependant, après plusieurs années de résultats décevants, des chercheurs commencent à remettre en question non pas la qualité des données, mais la construction même des modèles utilisés. Une étude récente met en lumière une problématique cruciale : la confusion entre correlation et causalité, un phénomène que l’on pourrait nommer le mirage des facteurs.
Ce concept d’investissement par facteurs repose sur l’idée séduisante que les marchés offrent des récompenses pour l’exposition à certains risques indémontables, tels que la valeur, le momentum, la qualité et la taille, qui expliquent pourquoi certains actifs surpassent d’autres. Des milliers de milliards de dollars ont été investis dans des produits basés sur cette hypothèse, mais les résultats sont souvent loin des attentes.
Index du contenu:
Les résultats décevants des modèles d’investissement
Les données disponibles racontent une histoire préoccupante. Par exemple, l’indice multi-facteurs de Bloomberg–Goldman Sachs, qui suit la performance des styles d’investissement classiques, a affiché un ratio de Sharpe de seulement 0,17 depuis 2007 (t-stat=0,69, p-value=0,25), ce qui est statistiquement indistinguable de zéro une fois les coûts pris en compte. En termes simples, l’investissement par facteurs n’a pas apporté de valeur ajoutée aux investisseurs, ce qui a entraîné une perte de confiance parmi les gestionnaires de fonds qui ont basé leurs produits sur ces modèles.
Les erreurs méthodologiques dans les modèles
Une explication souvent avancée pour ces déceptions est le surajustement des backtests, parfois désigné sous le terme p-hacking, où les chercheurs manipulent les données jusqu’à ce qu’elles semblent offrir un alpha. Bien que cette explication ait du mérite, elle ne couvre pas l’ensemble du problème. Des recherches récentes menées par ADIA Lab, publiées par la CFA Institute Research Foundation, révèlent un défaut plus profond : la misspecification systématique des modèles.
La plupart des modèles de facteurs sont construits selon un canon économétrique, utilisant des régressions linéaires et des tests de signification, qui confondent association et causalité. Les manuels d’économétrie enseignent que les régressions doivent inclure toute variable associée aux rendements, indépendamment de son rôle dans le mécanisme causal. Cette approche engendre des biais dans les estimations des coefficients, ce qui peut inverser la direction d’un facteur.
Conséquences des modèles mal spécifiés
La zoo des facteurs est un phénomène bien connu, avec des centaines d’anomalies publiées qui échouent lors des tests hors échantillon. Cependant, les chercheurs d’ADIA Lab mettent en avant un problème plus insidieux : le mirage des facteurs. Ce dernier résulte non pas d’une exploitation abusive des données, mais de modèles mal spécifiés, malgré leur conformité aux normes économétriques.
Les modèles intégrant des colliders sont particulièrement préoccupants car ils affichent souvent un meilleur ajustement (R²) et des p-values plus faibles que des modèles correctement spécifiés. L’économétrie favorise de tels modèles erronés, prenant à tort un meilleur ajustement pour une plus grande validité. Par exemple, dans un modèle où la qualité est mesurée, l’inclusion d’une variable influencée par la fois par la qualité et par le résultat crée un lien illusoire entre qualité et rendements passés.
Vers une approche basée sur la causalité
Les erreurs de spécification des modèles ont des conséquences multiples. Des travaux récents d’ADIA Lab soulignent qu’aucun portefeuille ne peut être vraiment efficace sans modèles de facteurs causaux. Même des estimations parfaites des moyennes et des covariances ne donneront pas lieu à des portefeuilles optimaux si les facteurs sous-jacents sont mal spécifiés. Cela indique que l’investissement n’est pas seulement un problème de prévision, et que l’ajout de complexité à un modèle ne le rend pas nécessairement meilleur.
Pour sortir de l’impasse de l’investissement par facteurs, il ne suffira pas d’accumuler plus de données ou de méthodes plus complexes. Ce qui est réellement nécessaire, c’est une approche fondée sur le raisonnement causal. En finance, comme dans d’autres domaines comme la médecine ou l’épidémiologie, comprendre la cause et l’effet pourrait devenir le véritable avantage compétitif restant.
Pour que l’investissement par facteurs réalise son potentiel scientifique initial, il doit abandonner les habitudes qui ont conduit au mirage des facteurs. La prochaine génération de recherche en investissement doit être reconstruite sur des bases causales, passant de la simple description des phénomènes à leur explication causale.
